Serge Hascoët a passé près de trente-cinq années de sa carrière au sein d’Ubisoft dont vingt-ans à la tête de « L’éditorial », le pôle créatif central.
Chargé de la stratégie éditoriale d’Ubisoft, Serge Hascoët a dirigé les équipes de création des jeux vidéo devenus de véritables succès.
Il a ainsi connu et même impulsé certaines des évolutions majeures relatives à la créativité.
Laisser le joueur écrire sa propre histoire : la philosophie de Serge Hascoët
Lorsque Serge Hascoët est interrogé sur sa philosophie du jeu vidéo, le créatif place immédiatement l’expérience du joueur au centre de ses préoccupations, en émettant des comparaisons avec les mondes du cinéma et du sport pour illustrer sa vision.
Serge Hascoët souligne ainsi que le propre des arts linéaires, comme le cinéma, est de raconter au spectateur une histoire qui est déjà écrite : par exemple, en visionnant un film, tout le monde vit la même expérience et même dix ans après, si le spectateur revoit le même film, l’expérience qu’il vivra sera identique à celle qu’il avait vécue.
En revanche, dans le sport, si lorsqu’on entre dans un stade certains éléments sont toujours présents (tels que le public, les joueurs, les règles du jeu…), rien n’est écrit à l’avance et personne ne connaît l’issue du match.
Ainsi, Serge Hascoët inscrit le jeu vidéo dans cette perspective : certains codes restent inchangés, à l’image des règles, des acteurs du jeu, des joueurs, des lois du monde que l’on peut retrouver dans certains jeux mais, l’histoire n’est pas écrite et reste à écrire par le joueur.
Il ne s’agit donc pas de supprimer l’histoire des jeux vidéo mais de créer un endroit dans lequel tout est possible. Les seules choses qui sont écrites sont celles qui se sont passées.
Les inspirations de Serge Hascoët
Ainsi, pour Serge Hascoët, la capacité d’expression du joueur est primordiale dans la conception d’un jeu vidéo : il faut que celui-ci puisse écrire sa propre histoire, définir ses propres objectifs, être en mesure d’identifier les opportunités qui s’offrent à lui et choisisse sans devoir être contraint d’emprunter un chemin tracé pour lui.
Cette vision du jeu vidéo fait écho au modèle PENS (« The player experience of need satisfaction ») qui identifie trois raisons pour lesquelles une personne s’engage dans une activité à long terme : la compétence, l’autonomie et la relation avec les autres.
Serge Hascoët a ainsi travaillé au sein d’Ubisoft à ce que le joueur se sente plus compétent, autonome et reconnu en œuvrant à une activité faisant sens pour lui et pour les autres.
Un autre courant a également influencé Serge Hascoët dans ses inspirations pour imaginer les jeux vidéo : il s’agit de la « flow theory » élaborée par le psychologue Mihály Csíkszentmihályi en 1975.
Selon ce concept, plusieurs éléments sont indispensables afin de permettre à une personne d’atteindre un état de « flow », c’est-à-dire de concentration maximale, d’engagement et de satisfaction pendant une activité.
Parmi elles figurent notamment la concentration sur le moment présent et la perte du sentiment de conscience de soi.
Ainsi, pour permettre au joueur de s’amuser, Serge Hascoët insiste sur la nécessité de lui proposer des univers et des mondes qui soient intéressants et dans lesquels les personnes rencontrées le sont tout autant.
Dans cette perspective, les créatifs doivent être de véritables experts des territoires et des paysages qu’ils créent.
C’est seulement une fois que l’on se sent bien dans l’univers proposé que le jeu prend son importance. Le joueur doit alors répondre aux problématiques de son personnage, grâce aux moyens qui sont laissés à sa disposition, afin de le rendre plus puissant.
La volonté de Serge Hascoët a contribué à faire évoluer Ubisoft vers des jeux dits « à monde ouvert ».
Serge Hascoët revient sur les changements d’orientation
L’orientation des jeux proposés par Ubisoft n’a toutefois pas toujours été celle d’une telle liberté laissée au joueur.
Par exemple, les jeux Far Cry ou Assassin’s Creed étaient très narratifs. Malgré cela, Assassin’s Creed 2, sorti en 2008, fait partie des jeux favoris de Serge Hascoët. Il raconte d’ailleurs que de nombreux touristes, en visite à Florence, demandent désormais aux guides touristiques de leur faire visiter les lieux du jeu.
Le « tourisme virtuel » de la ville proposé dans le jeu finit par s’incarner véritablement dans la « vraie vie », avec des tours dédiés à ce jeu.
Pour cet univers, la rencontre avec des personnages emblématiques tels que Les Borgia, Les Medicis et Léonard de Vinci était une véritable volonté.
Serge Hascoët raconte le processus de création de ce jeu en plusieurs étapes : en premier lieu la création du monde, puis des systèmes (tels que la force de gravité, la différence entre le jour et la nuit, la météo etc.), des possibilités d’actions que l’on donne au joueur (ses rôles, ses outils), la définition des personnages et enfin l’histoire.
Les jeux imaginés par la suite ont répondu à un processus différent : la rencontre avec les personnages n’est plus imposée tandis que la réflexion sur le système inséré intervient après la création du monde.
Grâce à cela, chaque personnage peut raconter sa propre histoire et en vivre dix mille différentes.
La vision créative de Serge Hascoët a permis à Ubisoft de se positionner parmi les acteurs incontournables du jeu vidéo et de proposer ses jeux au rang des plus vendus dans le monde.